Ultim Boat : Sam, à vingt jours du départ à St Malo, comment vous sentez-vous, dans quel état d’esprit vous êtes ?
Sam Goodchild : Là mon état d’esprit, ça dépend des jours, mais j’ai forcément un peu peur, je n’ai jamais fait une transat en solitaire, je n’ai jamais participé à une course aussi prestigieuse que la Route du Rhum, j’essaye de tout préparer au mieux, pour aller jusqu’au bout, faire une performance, ne pas avoir de regret.
U B : De quand date cette idée d’être sur la ligne de départ de cette 11ème édition de la Route du Rhum ?
S G : J’avais déjà un projet en 2014 qui est tombé à l’eau. Finalement j’ai fait pas mal de courses en équipage depuis trois/quatre ans. L’été dernier j’ai pris contact avec Peter Harding, le propriétaire du Class40, pour voir si on pouvait monter ensemble un projet pour la Route du Rhum. Nous avons pris la décision de nous lancer sur ce projet là, sur ce bateau à la fin de l’été 2017.
U B : Vous partez sur un Mach40, signé de l’architecte Sam Manuard, le numéro 137 mis à l’eau en 2014. Un bateau qui marche plutôt bien depuis sa mise à l’eau ?
S G : Le bateau est assez cohérent, il est fiable, il a été pas mal testé, il a fait la précédente édition de la Route du Rhum (1), mais les nouveaux bateaux qui ont été mis à l’eau plus récemment sont beaucoup plus puissants. En fonction des angles de navigation, le différentiel est important surtout au reaching. Normalement le parcours de la Route du Rhum, il n’y a pas trop de reaching. On l’a vu avec Phil Sharp l’an dernier sur la Jacques Vabres, jusqu’au Pot au Noir il était bien dans le coup, ensuite c’est devenu plus difficile. Après c’est en solitaire, c’est la Route du Rhum, il peut se passer beaucoup de choses. Il ne faut pas se focaliser que sur le bateau.
U B : Vous avez effectué deux chantiers à Portland, pouvez-vous nous détailler les modifications ou améliorations apportées à Narcos Mexico ?
S G : Le premier chantier au début de l’été on a tout démonté, tout vérifié, tout nettoyé pour que le bateau soit propre, refait la peinture du pont. Mais c’est resté un chantier assez basique d’entretien et de préparation. Le second chantier, c’était surtout pour faire la déco du bateau avec le nouveau sponsor. Il n’était pas question de tout changer aussi prêt du départ, juste pour gagner 1% en performance. J’ai aussi parlé beaucoup avec Peter Harding qui a beaucoup navigué dessus pour m’approprier le bateau et je pense qu’on est bien préparé.
U B : Plusieurs Class40 du même architecte viennent d’être mis à l’eau. En quoi votre bateau de 2014 est-il différent ?
S G : Les nouveaux bateaux sont beaucoup plus puissants, avec plus de volume aux étraves. On l’a bien vu plusieurs fois sur le tour des îles Britanniques où l’on naviguait au contact, ils étaient beaucoup plus rapides sur des angles entre 70/80 jusqu’à 130°.
U B : Narcos Mexico est très dépouillé à l’intérieur, aucune place n’est donc laissée au confort à bord ?
S G : J’essaye de garder à bord juste ce qui est nécessaire. Tout le reste est dans des sacs pour être matosser. Il y a très peu de choses qui traînent à l’intérieur du bateau, la course dure simplement 15 jours. Après les objets on les retrouvera à la maison. Le bateau dans sa conception est très dépouillé, il n’y a pas de peinture. Sous la coque il y a l’antifouling, sur le pont la peinture antidérapante et sur les francs bords simplement les stickers de Narcos Mexico. Les premières fois où l’on navigue c’est très impressionnant de voir l’eau à travers la coque, mais on s’y habitue très vite et je fais entièrement confiance au chantier JPS et Sam Manuard l’architecte.
U B : Vous avez débuté votre préparation très tôt dans la saison, avec beaucoup de navigations dans le sud de l’Angleterre et à partir de Lorient, puis en participant à 8 courses, vous êtes fin prêt ?
S G : On n’est jamais vraiment prêt ! J’aurais aimé naviguer encore plus, notamment avec les voiles neuves qui sont arrivées tardivement. Des voiles que l’on a pu avoir grâce à l’engagement de Netflix. Mais oui grâce à Peter Harding j’ai pu commencer à naviguer très tôt dans la saison en mars ou avril, aussi bien à Lorient qu’en Angleterre. J’ai eu beaucoup de chance de ce point de vu là. Là j’ai encore envie d’aller sur l’eau, pour tester, mais il reste des choses à faire sur le bateau, donc je suis toujours un peu partagé. Je pense que de toutes façons que tu prépares ton projet 3 ans ou trois mois avant le départ, il y a toujours des choses que tu n’arrives pas à faire.
U B : Vous êtes monté de nombreuses fois sur le podium et vous accrochez deux victoires (Prologue DRHeam Cup et Channel Race). Si vous deviez changer une seule chose à cette préparation quelle serait-elle ?
S G : Avoir plus de temps ! Par exemple avec les voiles neuves, grande voile et voiles d’avant qui vont arriver en début de semaine prochaine, à deux semaines du départ. On n’a pas pris de risque en les faisant fabriquer chez North, mais j’aurais voulu avoir plus de temps pour les tester, être à l’aise avec ces nouvelles voiles.
U B : Il y aura 53 Class40 sur la ligne de départ à St Malo, ce sera la classe la plus importante, et de loin avec une quinzaine de skippers qui peuvent prétendre sur le papier à la victoire. Où pensez-vous vous situer ?
S G : Je n’en ai aucune idée, j’ai envie de partir pour gagner. Après c’est ma première transat en solitaire, mais je ne veux pas finir sur un abandon. Mais je pars pour jouer le coup à fond, je n’ai pas envie d’arriver en Guadeloupe avec des regrets ou des excuses. Gagner ou savoir pourquoi je n’ai pas gagné ça m’ira très bien à l’arriver en Guadeloupe.
U B : Il va être difficile, vu le nombre de prétendants à la victoire, voir impossible de marquer tous vos concurrents. Non ?
S G : Tout le monde va regarder ce qui se passe sur l’eau. Il y a deux trois grands favoris et ensuite une quinzaine qui peuvent faire un résultat. Ca va être très intéressant de voir comment ça va se dérouler. Il ne sera pas possible de marquer tout le monde, il faudra faire en fonction de sa navigation et de la performance de son bateau.
U B : Le routage depuis la terre est-il autorisé pour la Route du Rhum Destination Guadeloupe au sein de la Class40 ?
S G : Non il n’y a pas de routage autorisé sur la Class40 depuis la terre. Il y a une grosse préparation à faire avant le départ. J’ai beaucoup travaillé avec Brian Thompson de ce côté-là, mais dès que la ligne est franchie, il faut faire la navigation tout seul.
U B : Vous avez effectué ces dernières années de nombreuses transatlantiques en équipage ou en double (MOD70, Ultime, IMOCA60), comment appréhendez-vous cette première en solitaire ?
S G : J’ai déjà fait la course du Figaro avec des navigations de 3 à 5 jours en solitaire, mais jamais une course de 15 jours. J’en ai beaucoup discuté avec Brian Thompson forcément, avec Alex Thomson et Samantha Davies qui sont deux britanniques à avoir fait beaucoup de solitaire. C’est quelque chose qui me fait rêver depuis très longtemps et donc j’ai hâte de voir comment cela va se dérouler. C’est un peu l’inconnue, tout en ayant préparé au mieux la chose.
U B : Pouvez-vous nous en dire d’avantage sur la rencontre avec votre partenaire Netflix ?
S G : J’ai eu un coup de fil de chez Rivacom. C’est un coup de fil que tu n’attends pas. Surtout qu’a ce moment là, je ne peux plus financer le projet personnellement. Et tu as même du mal à y croire tellement ça paraît irréel à cet instant. Tu penses que c’est un copain qui te fait une blague. Ils m’ont demandé ou j’en étais avec mon projet, dit que le partenaire était Netflix, et que le bateau porterait la marque Narco Mexico. Toute l’équipe qui bosse sur le projet est super motivée, l’équipe est vraiment super.
U B : Vous êtes très présent, aussi bien en course qu’en dehors et depuis longtemps, sur les réseaux sociaux. Cela a-t-il été un élément déclencheur pour obtenir le partenariat de Netflix ?
S G : Je pense qu’à force de parler de son projet sur les réseaux sociaux, effectivement c’est un plus. De là à dire que ça a déclenché leur décision je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que Netflix a discuté avec plusieurs skippers, avec différents projets.
U B : En étant associé à Netflix, un groupe de communication, à travers la série Narcos Mexico, avez-vous des obligations particulières en termes de communication durant la course ?
S G : Non il n’y a pas d’obligation durant la Route du Rhum. Il faut communiquer sur le projet, sur la marque Narcos Mexico, faire le maximum comme j’en ai l’habitude car c’est important pour moi pour le futur.
U B : La décoration de votre bateau, avec un covering total de la coque et des voiles sur la série TV Narcos Mexico, ne passe pas inaperçue, tout comme le clip original d’annonce de ce partenariat. D’autres épisodes du même genre sont au programme ?
S G : Non, il n’y a rien d’autre de prévu pour le moment. Le clip de lancement était super bien fait, ils ont super bien bossé dessus.
U B : De la musique à bord durant cette traversée ?
S G : Je pense que je vais emmener la bande son de la série Narcos Mexico (Rires), je n’écoute pas beaucoup de musique sur l’eau en général. Mais ce n’est pas impossible que je l’emmène quand même.
U B : Il y a déjà un après Route du Rhum de prévu avec Netflix pour de futurs projets ?
S G : Non rien de prévu, avec Netflix, il y avait beaucoup de choses à mettre en place pour la Route du Rhum en très peu de temps. Là on est vraiment focalisé sur cette échéance. Et puis le futur c’est dans six semaines, ce n’est pas très loin non plus.
U B : Vos prochains défis ?
S G : Moi j’aimerais bien faire le Vendée Globe 2020, mais ça va devenir très compliqué d’y participer vu le nombre de places disponibles. Tout cela se discutera avec le ou les sponsors. Ne vaudrait il pas mieux débuter très en amont un projet pour 2024 ?
U B : Comment peut-on vous suivre, vous et votre Narcos Mexico, lors de la Route du Rhum ?
U B : Vous avez regardé un peu ce qui se passe du côté des ultimes et comment voyez vous cette Route du Rhum dans cette classe. Vous avez un pronostic ?
S G : Non je n’ai pas de pronostic. J’ai suivi ça un peu de loin. J’ai hâte de voir ce que ça va donner. Il y a trois bateaux incroyables, reste à voir ce que vont pouvoir faire Sodebo et IDEC, je pense que ça va être plus compliqué. Mais oui les trois nouveaux à foils, ça va être incroyable. Il faudra regarder à quelle vitesse ils iront, comment ils vont gérer ça en solitaire. Car je pense que naviguer en solitaire comme ils l’ont fait sur les stages à Port-La-Forêt, avec des équipiers dans le cockpit, ça ne doit pas être pareil que d’être vraiment en solitaire sur une transatlantique. Donc à voir. Même si pour moi, il sera compliqué de suivre ça depuis le bateau.
Aux mains de Thibaut Vauchel Camus, 2ème en 17 j 4 h 33 min et 41 s, derrière Alex Pella