

Ultim Boat
18 juin 2025
Beau, léger, innovant...
Au cœur du chantier de CDK Technologies, sur l'anneau de Keroman, un nouveau géant des mers est en train de voir le jour. Gitana 18, dernier-né de la dynastie Edmond de Rothschild, va nous montrer ses étraves d'ici quelques semaines. Mais avant même ses premiers vols sur foils, ce trimaran Ultim', conçu pour tutoyer les 50 nœuds en haute mer, fait déjà parler de lui par une autre forme de vitesse : celle de la lumière, de la forme, du regard. Car Gitana 18, comme son prédécesseur, est bien plus qu’un concentré de technologie. Il est aussi un manifeste artistique.
Ariane de Rothschild, à la tête de la mythique écurie Gitana, renouvelle avec Gitana 18 une collaboration atypique et ambitieuse, initiée en 2017 avec le Palais de Tokyo. Cette institution parisienne, reconnue pour son engagement envers les pratiques artistiques contemporaines et expérimentales, prolonge son programme hors-les-murs avec un support aussi inattendu que puissant : un maxi-trimaran océanique de nouvelle génération.
La démarche n’est pas une simple décoration de coque. Il s’agit bien d’une œuvre à part entière, une installation à l’échelle du globe, dont le support – 2 000 m² de carbone haute performance – est soumis aux vents, aux vagues, aux lumières changeantes des latitudes et aux regards du monde entier. À l’invitation du Palais de Tokyo, ce sont les frères Quistrebert, duo d’artistes plasticiens reconnus pour leur travail sur la lumière et la perception, qui ont été choisis pour habiller le bateau.
Leur intervention dépasse largement le cadre pictural. C’est une fresque fluide, une mythologie en mouvement, pensée comme une expansion visuelle, intégrée au dessin même du bateau. Une œuvre vibrante, presque vivante, animée par les forces naturelles qui propulsent Gitana 18. Sur les voiles et les coques, cinq visages apparaissent en clair-obscur, subtilement intégrés dans des motifs quasi-abstraits. Ces figures, inspirées d’Ariane de Rothschild et de ses quatre filles, surgissent des lignes ondoyantes comme autant de présences tutélaires. Le bleu et le jaune, teintes historiques de la saga Gitana, se mêlent au noir mat du carbone, créant un contraste hypnotique. À distance, la voile semble vibrer. De près, elle révèle un détail presque organique. Le tout évoque un tatouage protecteur, incrusté dans la peau du bateau.
Pour Jean-Baptiste Epron, qui a orchestré la mise en scène graphique, l’exercice fut aussi complexe que passionnant. Designer reconnu dans le monde de la voile, il a su faire dialoguer les contraintes extrêmes d’un engin de compétition – où chaque gramme compte – avec l’exigence artistique des Quistrebert. Le résultat est à la fois sobre et saisissant, comme un tableau cinétique pris dans l’accélération du vent.
Ce n’est pas la première fois qu’un Gitana devient un support d’art. En 2017, Gitana 17 avait marqué les esprits avec l’intervention percutante de l’artiste américain Cleon Peterson. Ses silhouettes guerrières, inspirées des fresques antiques, s’étendaient sur les voiles comme un manifeste de puissance et de résistance. L’une d’elles, une sirène noire stylisée, avait même été pensée comme une figure de proue moderne. Cette œuvre inaugurait le Lasco Project en mer – l’extension maritime du programme du Palais de Tokyo dédié aux arts urbains – et ouvrait un dialogue inédit entre la mer, l’art contemporain et la course au large.
Cette première collaboration avait aussi accompagné les premières grandes victoires du Gitana 17 : Route du Rhum 2022,tour du Monde… Autant de jalons sportifs inscrits dans une aventure humaine et esthétique. Avec Gitana 18, la promesse d’un nouveau cycle se dessine, à la fois plus intime et plus universel. Ariane de Rothschild le dit elle-même : "Je voulais provoquer une rencontre entre des mondes." Et cette rencontre, ici, a lieu dans la matière, dans le sel, dans la lumière qui vont glisser sur les coques à 45 nœuds.
Car le choix des frères Quistrebert n’est pas anodin. Depuis plusieurs années, leur travail explore les effets optiques, la vibration lumineuse, les formes qui émergent du flou. En 2016 déjà, Ariane de Rothschild avait été frappée par l’intensité d’une de leurs installations parisiennes. Elle retrouvera leur univers quelques années plus tard, dans le chai du château de Malengin, autour des œuvres monumentales baptisées Vortex. Ces spirales sculptées, à mi-chemin entre le minéral et le liquide, trouvaient un écho dans les amphores abritant la cuvée Ève. De là à les projeter sur un trimaran volant, il n’y avait qu’un pas – franchi avec la complicité du commissaire d’exposition Hugo Vitrani, figure clé du Lasco Project.
Guillaume Désanges, président du Palais de Tokyo, résume l’intention : "L’art ne doit pas seulement se montrer dans des lieux clos, mais aussi se déployer là où on ne l’attend pas : sur les murs, dans la rue, et – pourquoi pas – sur les coques des bateaux qui traversent les océans." Et quel plus bel écrin pour cette ambition qu’un trimaran volant, capable de relier les continents, de traverser les tempêtes et de capter l’imaginaire collectif ?
Gitana 18, attendu à l’eau pour la fin septembre, entame donc sa carrière avec une double vocation. Course et création, performance et contemplation. Il faudra bien sûr suivre ses premiers bords, ses temps de référence, ses joutes à venir avec Banque Populaire XI, SVR Lazartigue, mais aussi et surtout Actual Ultim' 4, ex Gitana 17, dont la remise à l'eau sous ses nouvelles couleurs n'est plus qu'une question de jours. Mais il faudra aussi prendre le temps de regarder ce bateau autrement, comme un vecteur de formes, un objet poétique, une œuvre en mouvement.
Et peut-être, au large du cap Horn ou dans les brumes de l’Atlantique Nord, certains, privilégiés, capteront au passage une vibration étrange, une forme dans la brume, un visage à peine suggéré sur la toile gonflée par le vent. Ce sera Gitana 18. Naviguant entre les disciplines, entre les mondes.